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Photo de JR KORPA

Après une première partie consacré à la définition et à la préparation du Projet, voici le récit de cette année particulière, ainsi que le retour sur cette expérience littéraire unique.

« Franchement, certains jours, on n’a pas envie de se mettre à la table de travail (…) il faut s’y coller, se forcer à écrire, même si on doit tout jeter au final (ce que l’on fait très rarement au final). La motivation est avant tout une question d’astreinte, de discipline donc (…) Il faut que les choses soient faites, alors autant s’y mettre tant qu’on a un peu de courage. »

Neil Jomunsi, à propos de son Projet Bradbury -2013/2014

À VOS MARQUES, PRÊTS ? PARTEZ !

Je vais être honnête avec vous, je ne suis pas parti la fleur au fusil devant ma page blanche ce lundi 6 janvier. Au préalable, j’avais relu quelques-unes de mes nouvelles précédentes, pour la plupart inachevées, et afin de me faciliter un peu le démarrage, j’en ai choisi trois pour amorcer le projet. Je les ai, bien entendu, totalement réécrites, et durant les trois premières semaines, je n’ai pas eu à me préoccuper d’aller chercher des idées. C’était déjà ça de pris et surtout cela m’a permis d’entrer en douceur dans le challenge.

Au début, mon entourage est enthousiaste et guette avec attention la première nouvelle qui parait comme prévu le 12 janvier. Quant à moi, je ne tiens pas en place et j’attends avec impatience les premiers retours… qui s’avèrent plutôt positifs. Donc très encourageant pour la suite. Il n’en faut pas plus pour trouver l’énergie et la motivation de rédiger la seconde.

Je m’arrête un instant sur l’importance des critiques :

Tout écrivain, qu’il soit débutant ou non, n’a qu’un seul souhait : celui d’être lu. Et même si l’on est conscient (et mieux vaut l’être) de ses lacunes et de son petit niveau de débutant, c’est un passage obligé pour espérer progresser. Non seulement cela m’a permis de terminer le Bradbury, mais les différents retours au sujet de mes productions hebdomadaires ont considérablement contribué à me motiver pour pondre des nouvelles de qualité. Ou du moins à essayer de le faire !

J’en profite donc pour remercier celles et ceux qui ont pris le temps de me faire ces retours qui furent aussi instructifs qu’élogieuses !

Entre février et mars, j’entre donc dans ma vitesse de croisière, publiant donc entre 4 et 5 nouvelles par mois, ainsi qu’un bilan mensuel. Les quelques appréhensions que j’avais quant à mes capacités à mener à bien ce projet commencent à s’envoler. Je prends beaucoup de plaisir à écrire et je ne ressens pas de difficulté particulière. C’est assez fluide en général et je parviens à rédiger parfois plusieurs pages par jour.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la crise du coronavirus et le confinement qui s’en est suivi va quelque peu perturber toute cette jolie mécanique.

Tout le monde s’en souvient, il a fait beau au mois de mars, ce qui en a fait rager plus d’un, puisqu’il était interdit d’aller se promener. Quant à moi, je fais partie des privilégiés avec ma maison perdue en pleine nature. Nous n’avons donc pas souffert de l’enfermement comme tant d’autres. De fait, il m’a fallu sortir un peu de ma tanière pour m’occuper de ma maison.

Photo de Mat Laurent sur Unsplash

Le rythme de télétravail m’a franchement perturbé au début et a perturbé quelque peu mon quotidien. Le fameux schéma que je m’étais imposé au début s’est retrouvé chamboulé. À compter de fin mars environ, l’écriture va se faire de manière plus anarchique. Ne trouvant pas d’idée dans l’immédiat ou tout simplement accaparé par les tâches du quotidien, je me retrouve à débuter le récit de la semaine le mercredi voire le jeudi. Je prends du retard et commence à paniquer à voir toute cette jolie mécanique valdinguer dans tous les sens.

Lors du déconfinement, je suis déjà plus serein et à ce moment-là, j’approche doucement de la moitié de mon objectif. Il n’y a pas de raison que cela s’arrête, alors je m’accroche, et malgré le marasme ambiant, je continue.

L’été arrive et si durant le mois de juillet, j’écris ce que je considère comme les meilleures nouvelles que j’ai écrites jusqu’alors, le mois d’août a bien failli tourner à la catastrophe !

Quelques semaines plus tôt, nous décidons avec un groupe d’amis de tourner un court-métrage durant l’été. Cela fait 8 ans que nous n’avons rien tourné ensemble et l’occasion se présente. La 26ème nouvelle du Projet « Concerto pour des ratés » a été écrite d’ailleurs pour servir de support au scénario. Une fenêtre, très étroite, est ouverte pour un tournage la première semaine d’août et je pressens que cela va être très compliqué d’assurer les nouvelles de cette période.
En effet, je vais être tellement pressurisé par le temps que je suis contraint de ressortir de vieux textes de mes archives pour ne pas perturber mes publications hebdomadaires. « La disparition » est donc est une réécriture d’un texte de 2015, qui m’a bien sauvé la mise lors de la semaine de tournage.

En guise d’amuse-bouche, voici une capture d’écran de ce film, je l’espère, sera terminé en 2021 :

« Concerto pour des ratés » – Août 2020

Et si je sors du tournage passablement épuisé (il a fallu que se rajoute un problème domestique des plus contraignants : bien que joliment perdu au milieu des bois, je ne suis pas raccordé au réseau et mon eau potable provient d’une unique eau de source. Il me faut une pompe de surface pour alimenter la maison et cette pompe était HS trois jours avant le tournage !), je parviens à reprendre le fil de mon aventure littéraire et c’est presque avec soulagement que je me replonge dans mon rythme hebdomadaire.

La rentrée approche et pour couronner un été riche en péripéties, voilà que c’est le moment que je choisis pour changer de boulot ! (Enfin choisir est un bien grand mot. Cela faisait deux ans que la situation n’était pas au beau fixe et je n’ai pas eu à tergiverser longtemps lorsque l’on m’a proposé ce nouveau job).

Fin juin, quand je suis parvenu à la moitié du challenge, j’étais heureux d’avoir écrit autant de nouvelles et je me voyais déjà sur la ligne d’arrivée. Sauf que j’avais encore 26 nouvelles à écrire. Le plus dur n’était pas derrière moi, mais bien devant et la rentrée fut le début d’une ascension plus compliquée.

Au début de l’automne, j’ai commencé à ressentir une certaine forme de fatigue, de lassitude. Alors que j’étais tout bonheur pendant les premiers mois à écrire toutes ces histoires, je me suis retrouvé de plus en plus sujet aux pannes d’inspiration. J’avais compris que je ne pouvais pas écrire tout ce que je voulais. Dès que j’avais une idée un peu particulière qui nécessitait quelques recherches, je me voyais obligé de la remiser dans le tiroir, faute d’avoir le temps d’y consacrer un minimum de travail. J’ai donc commencé à ressentir une certaine frustration. Si écrire une nouvelle en une semaine peut s’avérer sympa de temps en temps, car l’idée et l’élan pour la développer se retrouvent au même moment, l’obligation de pondre son récit hebdomadaire, quoi qu’il arrive, relève peu à peu du chemin de croix.

Je suis donc passé par toute une série de sentiments contradictoires. Envie de tout lâcher, de me mettre à écrire n’importe quoi, juste pour produire, sortir un bouquin de la bibliothèque pour en plagier quelques pages… Bref, je dois avouer que la dernière partie du challenge n’a pas été aussi funky que le début.

Accaparé par un nouveau job qui demande toute mon attention, je rédige mes nouvelles dans une sorte d’état de somnambule en fin de semaine. Je n’ai pu le temps de respecter mon organisation et c’est donc totalement à l’arrache que j’écris certaines nouvelles comme «  Une indifférence parfaite », « Lisbeth » ou encore «  Les cendres de la lune ». Parfois, je parviens à trouver le temps de structurer un peu plus mes récits comme pour «  Le secret » ou «  La cité d’Elsthom », mais rien n’est prévu à l’avance. Comme un bon petit soldat, j’exécute les injonctions de mes supérieurs hiérarchiques afin de produire mon histoire de la semaine.

Comme beaucoup, je ne suis pas un grand fan de la fin de l’automne et du début de l’hiver. Généralement, cette période me renferme sur moi-même et je ressens une importante perte d’énergie. Par-dessus tout, je ne supporte plus les jours précédents les fêtes de Noël, car au niveau professionnel, il faut enquiller un mois de boulot en quinze jours, les jours raccourcissent et on ne sait plus bien si le soleil existe encore. Malgré tout, la perspective, compte tenu du contexte actuel, de faire un raid familial à travers la France, me file un regain d’énergie et j’écris mes dernières nouvelles en privilégiant l’instinct sur l’intellect.

J’en profite pour citer à ce propos un extrait si juste de l’interview de Neil Jomunsi, en 2014, à propos de son Projet Bradbury :

« Franchement, certains jours, on n’a pas envie de se mettre à la table de travail (…) il faut s’y coller, se forcer à écrire, même si on doit tout jeter au final (ce que l’on fait très rarement au final). La motivation est avant tout une question d’astreinte, de discipline donc (…) Il faut que les choses soient faites, alors autant s’y mettre tant qu’on a un peu de courage. »

Le 3 janvier 2021, après avoir douté de ma capacité à aller jusqu’au bout, je parviens enfin au terme de ce challenge si particulier. Si je ressens une certaine fierté à avoir persévéré dans cette démarche et d’y être parvenu, je me retrouve soudain bien seul et un peu perdu.

À l’heure où j’écris ces lignes, je suis encore enrobé de ce sentiment. Il m’est difficile de me dire que c’est terminé même si, il serait idiot de ne pas le reconnaître, c’est aussi un sacré soulagement.

Depuis, j’ai décidé que mon aventure dans le monde de l’écriture continuerait, mais je sens bien qu’il me faut faire une pause, aussi petite soit-elle, avant de repartir dans les contrées inexplorées de mon imaginaire.

Photo de Jr Korpa sur Unsplash

QU’EST CE QUE LE PROJET BRADBURY M’A APPORTÉ ?

Et bien la première chose qui me vient à l’esprit, c’est que le Projet Bradbury m’a appris à écrire. Tout simplement et c’est déjà beaucoup ! Souvenez-vous du conseil de Bradbury :

« Écrivez des histoires courtes, une par semaine. Ainsi vous apprendrez votre métier d’écrivain. Au bout d’un an, vous aurez la joie d’avoir accompli quelque chose : vous aurez entre les mains 52 histoires courtes. »

Cela peut paraitre abstrait, mais c’est loin d’être le cas.

Je savais qu’une fois les 52 nouvelles écrites, j’attaquerais la phase de correction et quelques jours après le terme du challenge, j’ai commencé à relire les premières nouvelles, celles écrites le mois de janvier 2020. Et c’est à ce moment précis que j’ai pu constater tout le chemin parcouru.

Je viens de relire les dix premières nouvelles et je me suis vite exclamé « Mon Dieu ! Mais c’est moi qui ai écrit ça ? ». Je ne veux pas dire par là que c’était totalement mauvais mais la différence était flagrante. Si les récits sont plutôt agréables à lire, ils pêchent par manque de constance (la structure n’est pas toujours heureuse) et par la présence de certains mots et phrases qui paraissent totalement hors de propos comme si je collais ensemble deux styles radicalement différents. Par exemple : je décris l’arrivée d’un personnage dans un endroit insolite en faisant ressortir des sentiments particuliers et juxtapose l’ensemble avec une phrase du type « Quelque chose ne tournait pas rond ».

Ce n’est pas une catastrophe, me direz-vous, mais cela marque bien un certain amateurisme. Et cela me conforte dans le bienfondé de cette entreprise qui m’aura pris une année entière.

Je ne suis pas pour autant en train de dire que les dernières nouvelles soient parfaites, mais je pense qu’il y a une nette amélioration entre les premières et les dernières. N’hésitez d’ailleurs pas à me faire part de vos commentaires à ce sujet.

IDÉES & INSPIRATION

En effet, lorsque l’on s’attaque à un marathon de cette ampleur, il est utile de se poser la question, car l’objectif étant d’écrire 52 histoires différentes, il vaut mieux avoir quelques idées.

J’étais d’ailleurs assez dubitatif à ce sujet et, comme je l’évoquais plus haut, je me suis lancé dans le projet avec une liste de quelques thèmes et quelques idées. Mais cela ne fait pas tout, car au début tout cela est abstrait. Une idée n’est qu’une idée. Il faut la développer, imaginer des personnages, un univers, bref il y a du boulot pour que la fiction puisse naître.

L’imagination, comme le reste est un muscle qu’il faut travailler sans relâche. Si bien entendu, j’ai connu de véritables pannes d’inspiration, ce n’est pas parce que je n’avais pas d’idées que le temps pour les développer. Ainsi, nombre d’idées prometteuses ont été remisées à plus tard faute d’avoir le temps de les écrire convenablement.

Ensuite, l’inspiration est multiple. Elle provient des lectures, du visionnage de films, de séries ou même de documentaires et de la vie quotidienne tout simplement. Lorsque l’on malaxe un peu tout ça, on parvient toujours à pondre un truc susceptible de fonctionner.

Dans le cadre du Bradbury, il m’est arrivé un certain nombre de fois de ne pas trop m’en faire et de me satisfaire d’intrigue toute simple où même parfois d’absence réelle d’intrigue. Le bonheur d’écrire consiste justement à ne pas trop intellectualiser tout ça. Je me suis donc souvent mis à ma table de travail sans inspiration et d’enchaîner les phrases qui venaient à l’esprit. Pas mal de nouvelles d’ailleurs ont été écrites ainsi, surtout parmi les dernières. « Ne comptez pas sur moi pour vous enterrer dans le jardin » en est un parfait exemple.

Il ne faut pas oublier non plus l’objectif de ce challenge. Il ne s’agit pas d’écrire des nouvelles parfaites, mais si, j’ose dire, éviter d’en écrire des très mauvaises. Entre les deux, il y a de la place pour à peu près tout et n’importe quoi !

Par exemple, voilà bientôt trois semaines que je n’ai pas écrit de fiction et je sens bien que le muscle se relâche. Il me tarde de revenir à la régularité que m’avait imposée le Bradbury.

Pour finir, je ne peux que vous encourager à lire, et ce quel que soit l’ouvrage. Il me parait absurde de vouloir devenir écrivain sans une solide expérience de la lecture. Certains l’affirment pourtant, mais, personnellement, je ne peux qu’en douter.

MON BRADBURY EN CHIFFRES

 

L’ensemble de mes 52 nouvelles comptabilise 160 427 mots (soit 947 723 signes), soit 3000 mots en moyenne par nouvelle (8 à 10 pages de format A4 environ).

Même si ce chiffre parait important (enfin, pour moi, c’est déjà un record personnel dont je ne suis pas peu fier), il ne représente que 440 mots écrits par jour. Nous sommes loin de la régularité préconisée par un Jack London avec 1000 mots à écrire par jour et encore plus loin d’un Stephen King avec son objectif quotidien de 2000 mots. Mais je ne me flagelle pas pour autant, car il ne faut pas oublier que je ne suis pas écrivain à plein temps et je n’écris que pendant mon temps libre (qui soit dit en passant à une fâcheuse tendance à se rétrécir avec les années !).

J’ai tout de même calculé qu’une nouvelle (écriture, correction, réalisation de la couverture, publication) m’a demandé en moyenne entre 15 à 20 h de travail par semaine soit un millier d’heures consacré à ce projet sur l’année. Quand on effectue, en travaillant à 35 h semaine, 1600 heures par an, cela représente tout de même un second boulot à mi-temps !

 ∗

Ainsi s’achève cette article sur mon expérience littéraire de 2020. Le Projet Bradbury n’est pas tout à fait terminé car il faut que je m’attelle désormais à la réalisation du ou des récueils qui mettront un point final à ce challenge hors normes. Dans l’intervalle, je vais profiter de ce que le Bradbury m’a apporté et me remettre à ma table de travail.